Dans un cirque de pics clairs, quelques canards à col rouge pataugent dans les eaux turquoises. La fonte des hauts glaciers aux reflets bleutés confère à ces retenues d'eau une couleur indescriptible, inimaginable, et extraterrestre. Un sentiment puissant de vivre un instant grandiose nous anime. Le Huascaran, le Quitaraju, et le Pyramide sont autant de sommets qui rivalisent de splendeur. Nous marchons et marchons encore pour en voir le plus possible. Nous nous reposons une journée à Caraz, petite ville où les femmes des campagnes avoisinantes font la queue une fois par mois depuis le guichet de la banque jusque dans la rue et jusqu'à la place centrale pour retirer leur pension de survie.
Nous rencontrons Pierre et Pierre, deux Bretons en baroude. Par chance, l'un d'eux est ostéopathe et soignera le pied douloureux de Nico (en dénouant une tension d'estomac...). Par chance aussi, ils partagent comme nous le même goût pour les apéros à rallonge en terrasse . En leur compagnie, nous "niquerons plusieurs mousses", comme ils disent, en échangeant des bons plans de voyageurs.
Le lendemain, dès l'aube, nous attaquons la rando classique de Santa Cruz. Trois longues journées de marche nous font partir de 3000m jusqu'au col de Punta Union à 4750m, pour redescendre dans la vallée de Vaqueria de l'autre côté. Le premier jour, nous bravons des nuées de moustiques pot-de-colle pour camper dans une prairie habitée de vaches très curieuses qui viennent nous renifler de près. Nous croisons aussi des ânes à l'appétit sexuel débridé. Suivant sans relâche la femelle de son coeur, le mâle se trimballe avec le membre dur qui pendouille et oscille comme un pendule alors qu'il court après sa partenaire qui le fait mijoter.
Nous nous préparons ensuite un repas rapide à la lampe frontale. La nuit tombe et le vrai froid arrive. A 4000m le premier soir, nous éteignons le feu avant 20h et survivrons grâce à nos triples épaisseurs de vêtements.
Nous débarrassons le plancher aux aurores le lendemain. Nous poursuivons notre ascension. Nous atteignons le coeur de la cordillère où nous tutoyons les sommets les plus hauts.
Au réveil, les nuages de pluie ne semblent pas pressés de partir. Nous attendons en vain une accalmie pendant plusieurs heures. Nous entamons ensuite la longue descente vers la sortie du parc. En fin de journée le ciel s'éclaircit. Nous profitons du retour du soleil pour rater de quelques secondes notre bus qui rentre au village. Nous attendrons quasiment deux heures que le suivant nous prenne. Nous continuons alors la descente de nuit (exactement ce que nous voulions éviter), empruntant des lacets à flanc de ravin sur un chemin de pierre défonçé. Les précipices sont vertigineux et les lueurs des villages en contrebas nous paraissent lointains. Le front transpirant, nous prions le ciel à chaque virage, à chaque trou de ne pas nous renverser. Nous manquons à plusieurs reprises de repeindre en marron le fond de notre froc. Ce voyage en bus est le pire que nous ayons vécu. Il déboucherait le transit de la reine des constipées. Mais nous arrivons à destination en entier. Nous retrouvons une bonne auberge et un bon lit au chaud...