vendredi 26 mars 2010

Le canyon du Colca


Nous avons quitté Arequipa et notre cher comptoir du Mono Blanco pour nous enfoncer dans la montagne et changer d'air. Après quelques kilomètres, la ville s'efface, et de petits villages fleurissent sur le bord de la route. Nous pénetrons dans les terres de tradition. Maisons en torchis, tenues brodées et bariolées, l'atmosphère change. Dans le bus, une Péruvienne monte à bord, accompagnée de son lama! Nous arrivons à Cabanaconde, notre point de départ pour les 3 jours de rando qui nous attendent.
Le canyon du Colca serait l'un des plus profonds du monde, mais les chiffres divergent: 3000m de fond selon les manifestants, seulement 1000 selon la police. Qui croire?

Alors que nous descendons les premières pentes, un orage se forme au dessus de nos têtes. Nous pressons le pas pour ne pas nous faire foudroyer. Nous arrivons en bas du canyon en un temps record, sacrifiant nos genoux et nos mollets. Finalement l'orage n'éclate pas. Nous faisons une pause dans le lit de la rivière avec un compatriote, Také, qui lui, s'est engagé dans un marathon de 15 jours de marche à travers les montagnes avec pour tout matériel un poncho, un tapis de sol mité et des galettes de blé. On ne sait pas si on doit l'admirer ou craindre pour sa vie.


Notre première halte est prévue au village de Pallca, où nous sommes censés retrouver Florent et Henri, nos acolytes alcooliques du Mono Blanco. Mais nous sommes accueillis par le néant humain et le trop plein de bourdons noirs qui nous rasent et qui forment une sorte de couche d'ozone sonore au dessus de nos têtes. On scrute, on guette, on hèle, on cherche et on finit par trouver un papi qui nous confirme que Pallca est un village mort et nous indique la direction de Llahuar pour trouver refuge. Nous y arrivons fourbus mais une récompense de taille nous attend: une auberge coquette accrochée à la falaise, des huttes au bord de l'eau en guise de chambre et surtout des piscines d'eau thermale à 30 degrés, dans lesquelles nous retrouvons Také le montagnard barbotant comme un enfant. Cependant, pas de nouvelles de Florent et Henri. On espère qu'ils n'ont pas fait fausse route et nous pensons encore les croiser le lendemain.


Le lendemain, nous sommes contraints de repasser par Pallca-la-bourdonnante. Nous y retrouvons le papi de la veille, qui a visiblement passé une mauvaise nuit et nous envoie promener à grands renforts de bougonnements et de gestes vifs du bras gauche quand nous lui demandons le chemin. Nous retrouvons néanmoins le sentier. A une intersection, des flèches blanches nous proposent d'aller à gauche et de grimper sec pour passer un col. Mais à droite se dessine un autre chemin plus plat et qui semble aller dans la bonne direction. Nous choisissons la facilité. Mais malheureusement, au fur et à mesure, le chemin se rétrécit, se dérobe sous nos pieds et se perd à flanc de montagne, nous contraignant parfois à nous agripper à de maigres racines. Au bout de vingt minutes, nous estimons que la baroude se rapproche de l'inconscience. Nous rebroussons chemin à quatre pattes, sur les fesses et la sueur dégoulinante. A l'intersection maudite, nous redevenons disciplinés et suivons les flèches. A cause de ce petit détour, nous entamons la montée en pleine cagnasse et nous déséchons à chaque lacet. Nico tente de se rafraîchir en mangeant un fruit de cactus mais se colle des épines plein les doigts pendant l'épluchage. L'ascension nous parait interminable et les efforts injustifiés, puisque, passé le col, nous allons devoir tout redescendre. Mais encore une fois, une belle surprise nous attend à la fin de la journée. L'oasis de Sangalle est un site enchanteur: piscine, palmiers, arbres fruitiers, verdure au milieu d'un terrain aride...
Mais, toujours pas de signe de vie de Florent et Henri. Cette fois, on pense qu'ils sont perdus.


Le lendemain, il faut remonter d'une traite tout le canyon. Heureusement, en partant à la fraîche, sans hésitation sur le trajet et avec beaucoup d'eau, nous arrivons en haut sans trop de difficulté. Nous rentrons à Arequipa et après une bonne douche, nous filons.... au Mono Blanco! Nous y retrouvons un message de Florent et Henri. Ils ne sont finalement pas venus au canyon, préférant aller à Cusco. Voilà le mystère résolu. Nous pouvons siroter notre pisco sour tranquillement, comme à la maison.

Dans le colon, tout est bon!


Nous avons quitté le Chili pour retrouver avec plaisir le Pérou et nos retrouvailles passent par Arequipa. Un large centre historique de carte postale à l'architecture coloniale soignée: églises, cathédrale, palais, demeures bourgeoises, arcades sculptées, facades taillées, rues propres, le centre d'Arequipa est un chef d'oeuvre.



Le colon Espagnol était un bâtisseur habile. Concédons-le, le colon a employé des méthodes discutables en son temps, mais sous ses manières brutales se cache un petit coeur tendre. Sensible à la poésie d'une courbe bien dessinée, le colon aime le raffinement et s'émeut facilement face à une boiserie gravée. Quelqu'un pour qui les préoccupations stylistiques priment ne peut pas être considéré comme fondamentalement mauvais. Peut-on lui reprocher d'avoir eu du goût? Le colon payait mal? Des esclaves se sont échinés jusqu'à l'épuisement pour réaliser l'ouvrage? Ne sont-ce pas là des détails de l'histoire? On le sait bien, les fainéants se plaignent souvent. Ce qui est important, c'est ce qu'il reste de beau, non? Le colon améliore le quotidien de chacun en y ajoutant du style et de la classe. Ne sous estimons donc pas "le rôle positif de la colonisation". Dans le colon, tout est bon!


Notre séjour à Arequipa a également été un moment de retour aux sources gauloises. Dès le premier soir, nous découvrons le bistrot français "Le Mono Blanco" où nous prendrons racine chaque soir, retrouvant des plaisirs oubliés: jouer à la belote, au baby foot, manger du canard, parler politique, chanter du Renaud à la guitare...
Nous rencontrons Xavier, le patron, David le serveur et Florent et Henri, d'autres baruderos en manque de canard. Nous partagerons avec eux plusieurs soirées arrosées de quelques litres de pisco, l'apéro qui rend maboule.

Lors de ces divagations nocturnes, Nico se retrouve embringué dans un projet de création live lors de la soirée "fête de la francophonie" à l'alliance française. Pour la première fois de sa vie, il manipule les bombes pour réaliser un graf' avec deux autres artistes. C'est compliqué, ça coule, ça bave, le panneau est trop petit, il n'y a pas les bonnes couleurs et tout le monde regarde par-dessus l'épaule. C'est un peu oppressant. Le résultat final n'étant pas présentable, vous n'aurez droit qu'à un détail.

Iquique


La nouvelle et dernière étape au Chili nous a amené sur les côtes d'Iquique. Nous trouvons refuge dans une petite auberge de surfeurs cools, au tarif modéré et par conséquent à la propreté approximative. Ambiance planche/pétards/picole. Le surfeur est un compagnon agréable mais peu apte à l'effort. Le ménage, c'est pas son truc. Le surfeur, sachez-le, retourne sa combinaison plusieurs fois avant de la laver.

La journée du surfeur commence tard. Il ouvre un oeil à dix heures. Il se rend compte qu'il dort dans le canapé du couloir, au milieu des cendriers renversés et des bouteilles vides. Il se lève pour pisser. Il ne ferme pas la porte derrière lui. Il se recouche en se rinçant la bouche à la bière éventée. Il comate jusqu'à midi puis se prépare un oeuf brouillé. En attendant que ses potes se réveillent, il fait une petite partie de Playstation. Il part faire des courses et ramène des bières. Il grimpe sur le toit et scrute l'horizon pour savoir si aujourd'hui la vague est bonne. Il attend encore un peu. C'est trop tôt pour surfer. Il est 16h, il croûte toujours à l'auberge. Il roule un nouveau joint. Son pote retourne chercher des bières. 18h, ca y est, il décolle, direction la plage. Il se jette à l'eau et s'en donne à coeur joie. Ca glisse, ça gicle, ça coule, ça claque, c'est du kiff. Et puis une heure plus tard, c'est fini. A 19h, le soleil se couche, le surfeur rentre à l'auberge. Il se prend une douche et une nouvelle bière. Si la douche est occupée, il ne prend que la bière. Il parle des vagues du jour. "Elles étaient pas trop mal aujourd'hui". Ensuite, il faut préparer le barbecue dans la cour. Ca prend du temps de faire de la braise. Les heures tournent autant que les joints, alors en attendant, il reprend une bière. Ah merde, ca y est la viande est trop cuite. Tant pis, ça se bouffe quand même. Et maintenant, pour digérer, une petite bière. La dernière, après on se couche. On aime bien les surfeurs, ils sont pas chiants: un peu de vagues, un peu de bière, un peu de weed, et ils sont contents.

Bref, Iquique nous offre une halte agréable. Son littoral de plage avec ses pélicans noirs qui couinent comme des cochons, son quartier du vieux marché bordélique, son centre historique colonial à fière allure...



Tout se passait paisiblement... jusqu'à ce que la terre se mette à trembler de nouveau à Santiago. La peur s'empare vite des esprits. En effet, depuis un mois et le premier séisme meurtrier à Concepcion, le Chili a été secoué par 400 répliques et vit dans la crainte. Les rumeurs s'affolent. Un tsunami menaçerait de déferler sur les côtes d'Iquique! Tout le monde panique, nous alerte, se précipite dans sa voiture et tente de s'enfuir vers la colline surplombant la ville. C'est impressionnant d'assister à des mouvements de foule pris de panique. La peur, très contagieuse, se transmet à vitesse éclair. L'instinct de survie rend débile.


En une heure, l'évacuation de la ville se fait dans le désordre. Les artères se bouchent rapidement, les klaxons hurlent, les automobilistes s'entassent contre toute logique dans les embouteillages. Nous passons sereinement à côté sur le trottoir. Dans un élan de bravoure idiote, nous décidons de repasser à l'auberge pour sauver la pochette de dessins de Nico et les cassettes du voyage. L'auberge étant à cinquante mètres de la plage, nous retraversons la ville à contre sens de la marée humaine fuyant la côte. En arrivant, nous trouvons les surfeurs hilares. Pour eux, pas de danger. Des agents de la mairie, qui s'affairent à contredire les rumeurs galopantes dans le quartier, nous rassurent ainsi que tous les passants inquiets. Rien à craindre ici, nous sommes vraiment trop loin de l'épicentre pour craindre la submersion. Le doute plane et l'inquiétude demeure encore quelques heures, les regards braqués vers la plage pour déceler un mouvement d'eau suspect. L'adrénaline collective retombe progressivement et enfin les rues se désengorgent. La vie reprend son cours et la petite ville d'Iquique retrouve son rythme flottant.

PS: Nous avons eu des nouvelles de Philippe de Castres. Il est vivant. Il est bien rentré grâce à un vol improvisé Mendoza Buenos Aires.

PS 2: Merci pour la branlée du 21 mars!

Scoops toujours!

Pour bien comprendre l'actualité d'un pays, le touriste se tourne vers la presse écrite, censée représenter la meilleure source d'information. Le journalisme d'investigation, ce devrait être des enquêtes sérieuses, des recoupements précis, des analyses pertinentes qui permettraient au citoyen moyen d'aiguiser son sens critique.

Mais en voyant les unes racoleuses qui recouvrent les kiosques, le lecteur en perd son latin et le Père Noël rit jaune au Pérou. Résultats de foot s'étalant sur 10 pages, entrecoupés de potins people, de faits divers et de récits sur les violences quotidiennes, la presse va mal.

En dernière page, ou dans la rue, accrochées à la sauvette, les petites annonces occupent une place importante. Un exemple saugrenu: "Vend une télé JVC 21 pouces ou échange contre un agneau".

Pour vérifier les information glanées, il faut donc se tourner vers le dernier média libre: internet. Malheureusement, en Amérique Latine, les cybercafés, souvent gérés par des machos primaires, sont le repaire des ados en mal de sexe qui passent leur temps à tchater et à jouer en réseau ...


Et pour obtenir des informations fiables, les institutions publiques devraient être les garants d'un respect du citoyen et lui fournir les services adéquats, mais dès l'entrée, il se fait reçevoir comme un malpropre, surtout les femmes...


Vous l'aurez donc compris: trouver une information fiable relève de l'exploit, mais nous avons réussi.
Après un parcours du combattant, nous sommes aujourd'hui en mesure de vous révéler un scoop du tonnerre que la presse française nous envie:
Nicolas Sarkozy et Isabelle Balkany ont eu un fils caché il y a une trentaine d'années.
Planqué dans une boutique branchée en Argentine, il tente de grimper les échelons dans le business du prêt-à-porter tout en dissimulant maladroitement son lourd héritage familial.
Nous l'avons retrouvé. Son prénom met en relief toute la beaufitude de son daron.
Il s'appelle....


jeudi 18 mars 2010

San Pedro de Atacama


A cause du tremblement de terre dont nous vous avons conté les détails vibrants, impossible de traverser la frontière pour quitter l'Argentine et regagner le Chili. Avec nos copines du front de lutte rencontrées à San Augustin, nous avons envisagé toutes les possibilités. Dans ce genre de situation, les informations recueillies semblent être le résultat d'un téléphone arabe national, et les trajets en bus, d'ordinaire peu pratiques, deviennent un vrai casse-tête. Routes coupées selon certains, seulement ralenties pour d'autres; autostop facile ou impossible selon l'interlocuteur; bus clandestins partant de San Juan selon les dires d'un employé à Mendoza, contredits par son homologue de San Juan...

Nous changeons donc nos plans originaux et remontons la moitié nord de l'Argentine pour traverser la frontière chilienne à San Pedro de Atacama. Sur cette route, nous repassons devant des endroits visités au tout début de notre voyage et redoublons d'admiration lors de cette deuxième visite improvisée où les couleurs paraissent encore plus vives que dans nos souvenirs.

San Pedro est une oasis verdoyante au milieu d'un des déserts les plus arides du monde, mais son minuscule centre touristique pourrait surtout prétendre au titre de Disneyland chilien de la dune. Ses maisons en terre cuite polie, ses barbecues à la belle étoile, ses 30 bars identiques alignés dans LA rue piétonne qui offrent des happy hour à prix de gringo, tout semble avoir été dessiné pour le bon plaisir du touriste en quête de dépaysement et de confort.


L'appellation "climat désertique" n'est pas usurpée ici. La chaleur est d'ailleurs telle que, en plus des coups de soleil, les sandales de Magali ont fondu sur le bitume bouillant menant à la Vallée de la Mort. Il leur aura suffi de 2kms de marche à 15h de l'après midi pour passer de l'état solide à l'état liquide. Les semelles décollées jusqu'au milieu de la voute plantaire, le retour par les dunes au sable brûlant se transforme en galère.
L'autre site incroyable est la Vallée de la Lune, un canyon de roches, de terre, de sable et de minéraux qui se sont mélangés sous l'effet de l'érosion pour former un paysage hallucinant. Cet endroit magique n'est qu'à 15kms de San Pedro, mais aucun bus ne s'y rend, sauf ceux des agences pressées, qui font des arrêts chronométrés: le temps d'une photo et d'une goulée d'eau, et voilà les touristes repartis sur le circuit de F1. Grâce à nos récits précédents, vous devinez désormais notre répulsion face à ce genre de tour organisé.

Une autre alternative serait de s'y rendre en vélo de location. Mais à l'idée de pédaler de nuit sur une piste caillouteuse pour arriver aux heures fraîches sur le site, puis pédaler dans le canyon pentu avant de repartir sous la cagnasse, nos mollets se crispent. Par chance, nous rencontrons au camping un couple d'Américains venus d'Alaska, Bob and Judy qui ont beaucoup de qualités: démocrates motivés, biologistes passionnés, voyageurs chevronnés, à la curiosité développée et à la taille élancée. Mais ils ont aussi un autre atout non négligeable: une voiture, dont ils nous proposent les sièges passagers arrière pour faire la visite avec eux. Après avoir crachés sur les caravanes quatre étoiles de touristes, nous sommes quand même ravis de profiter du confort pour traverser cette vallée!

mardi 2 mars 2010

Les parcs Talampaya et Ischigualasto

Nous repassons vite fait par San Juan pour repiquer ensuite vers San Augustin d'où partent les excursions pour les deux parcs. Nous pensons au départ visiter chaque parc en une journée mais les conditions imposées par les tours organisés ont bouleversé nos plans. Nous entamons la première visite à l'aube et traversons le canyon rouge de Talampaya où se sculptent dans la roche des visages, des silhouettes animales et une cathédrale, en laissant fonctionner son imagination. Le bus nous laisse peu de temps pour profiter de toutes ces splendeurs. Nous grinçons des dents. A midi, le chauffeur du mini bus nous redépose à l'entrée. Le tour est fini. Notre frustration tourne à la colère. Nous ne pouvons pas rester plus longtemps.





A l'improviste, nous nous incrustons alors avec le groupe qui part visiter le second parc. Ischigualasto, dit "La vallée de la Lune", se traverse également en véhicule. A aucun moment le touriste ne peut se dépétrer des agences de voyage. Nous en acceptons à regret les règles et contraintes et entamons le circuit de 40 kms. Le mini bus nous transbahute sur un chemin chaotique tracé dans la vallée. La spécificité du site en vaut malgré tout la chandelle. Les sols enfouis du Trias, du Jurassique et du Crétacé refont ici surface. De nombreux fossiles déblayés lors des fouilles offrent un témoignage de l'ère des dinosaures. Monticules et excavations façonnés par l'érosion bâtissent un paysage hallucinant.





Nous rentrons ensuite en ville et repassons à l'agence en formant une fronde de mécontentement avec une Française, une Chilienne et un Japonais tout aussi déçus que nous d'avoir été floués et d'avoir si peu profité de ces deux parcs classés au patrimoine mondial. On nous réclame une rallonge pour la visite supplémentaire. Nous accordons nos violons entre ronchons et refusons en bloc de payer davantage du fait de l'inconfort subi et scandalisés par les méthodes à la limite de l'honnêteté des ces piteuses officines. Nous obtiendrons gain de cause au bout d'une heure de discussions houleuses (ou d'acquiescements silencieux de la tête de la part du Japonais qui ne parle pas un mot d'espagnol).

Aurores Barréal







Barréal est un petit village nonchâlant planté de peupliers, coincé dans une oasis verdoyante entre la grandiose cordillère et sa petite soeur nommée pré-cordillère, dans une cuvette aux reliefs fripés, aux roches poreuses qui s'effritent et aux monts écorchés aux couleurs rougeoyantes. Des brûlures diurnes au gel nocturne, les roches affleurantes sont soumises aux conditions extrêmes du climat sud-américain.

Avec Philippe, un prof de tennis français rencontré dans le bus, nous visitons le parc Leoncito et Blanco Barréal, une immense langue de terre blanche au milieu de la sombre pampa.

Barréal est situé dans une zone où le ciel est extrêmement pur et où les observatoires astronomiques ont donc élu domicile pour analyser ce qu'il se passe au-dessus de nos têtes. Les nuages obscurcissent le ciel seulement 30 jours par an... et forcément il aura fallu que notre séjour tombe pendant cette période! Nous n'avons pas vu les étoiles dans le télescope géant. Le dernier soir, l'expérience aurait pu avoir lieu, mais les scientifiques de l'observatoire ayant une capacité d'anticipation proche du néant, nous n'avons pas pu organiser cette visite. A 18h, il leur était impossible de savoir si le ciel serait assez clair, leur analyse reposant sur un simple coup d'oeil jeté en hauteur.

L'Aconcagua


L'empire Inca avait établi des comptoirs partout le long de la cordillère. Ici, au pied de l'Aconcagua, le plus haut sommet des Amériques (6962m), les Incas ont fait halte dans les eaux thermales baignant la vallée. Ici, la nature offre aux voyageurs harassés un de ses bienfaits curatifs. Les eaux miraculeuses du puente del Inca auraient selon la légende soigné le fils de l'Inca alors mourant. Sur ce site majestueux, ils contrôlaient un des rares passages entre les côtes Pacifique et Atlantique. Le puente del Inca est une formation rocheuse sans équivalent. Enjambant un torrent marronasse, un pont naturel de glace s'est formé il y a plusieurs millions d'années. Ensuite, la fonte des glaces a charrié des minéraux remontés des entrailles de la Terre, qui se sont infiltrés dans la structure du pont, le solidifiant et lui donnant son aspect actuel aux reflets d'or. Aujourd'hui, fragilisé par les godillots balourds des touristes à l'embonpoint certain, le pont est interdit d'accès. Infranchissable, le pont s'offre seulement à la contemplation béate.

Infranchissable l'est tout autant le Cerro Aconcagua. Ses versants abrupts recèlent de multiples pièges mortels. Chaque année, de nombreux andinistes tentent l'ascension de sa face sud. Tous n'en reviennent pas. L'Aconcagua tue aujourd'hui encore. Deux jours avant notre passage, deux types certainement trop présomptueux ont entrepris d'escalader les voies dangereuses de ce massif sans issue, mais ont malheureusement échoué. Nous ne nous risquerons pas plus haut que le mirador des 3000m juché sur une colline balisée. Dans la vallée, au hasard de nos déambulations, nous tombons sur le cimetière des montagnards disparus où se dresse une stèle couverte de chaussures de marche dépareillées leur rendant hommage.

lundi 1 mars 2010

El terremoto

Nous remontons encore et toujours le continent en longeant la cordillère des Andes. Véritable épine dorsale du continent, tour à tour barrière protectrice ou porte des enfers, la cordillère régule la vie dans cette partie d'Amérique. Elle décide des climats, façonne les paysages et découpe les pays. Nous échouons à San Juan, au pied de la chaîne, où la chaleur assommante réduit toute vélleité d'activité à néant. Ici, on s'économise, on se repose. On se protège du soleil qui brûle et on attend la fraîcheur de la nuit pour sortir. Seulement, les nuits aussi sont chaudes, poisseuses et étouffantes, les draps se transforment en serpillière humide. Nous trouvons difficilement le sommeil dans toute cette transpiration.

Voici maintenant le récit de Nico de la nuit du 26 au 27 février, vous comprendrez vite pourquoi ses propos seront suffisants.

En ce qui me concerne, ma nuit est agitée, inconfortable. Le sommeil en dents de scie, une sensation étrange de ballotement perturbe mon repos. Je me réveille comme secoué par un mauvais rêve. Les quatres guiboles du lit flageolent. Le plumard se déhanche, gigote et entame une rumba endiablée, possédé par la fièvre du vendredi soir. Le ventilateur du plafond se balance et bat la mesure. Les murs en béton ondulent, ramollis par la chaleur, se gondolent comme une feuille souple. L'immeuble entier est parcouru de spasmes épileptiques. Les alarmes des voitures en stationnement se déclenchent dans le quartier. Je crois à une hallucination. Mon cerveau met du temps à comprendre. Un puissant séisme secoue la terre! La colonne vertébrale du continent s'est ébranlée pour nous secouer un bon coup. Saisie par un frisson au bas des reins, les colosses omoplates de l'Amérique s'entrechoquent dans un tremblement de terre dévastateur. Magali dort profondément. La Terre pourrait s'écrouler, elle ne s'en rendrait pas compte. Elle soulève légèrement une paupière, puis la referme aussitôt. La première onde de choc passée, je m'attends à une réplique à suivre. Je me méfie. Je me rendors mais je me tiens sur mes gardes, prêt à courir si tout s'effondre. Je somnole, l'oeil à moitié clos. Un peu plus tard, tout recommence. Je bondis du lit au quart de tour, prêt à évacuer Magali, qui continue de pioncer sagement sans s'aperçevoir de rien, ou plutôt qui ouvre un oeil mais reste stoique face à la situation, comme si tout cela était banal. Je la réveille en sursaut, mais cette seconde secousse est plus douce que la première.
Au matin, nous prenons notre café en regardant les infos télévisées. Richter a prévu à peine assez de barreaux à son échelle. 8.8 de magnitude. Les ravages sont terribles. L'épicentre, situé au sud du Chili, est distant d'environ 800kms de notre petite cité de Saint Jean. A l'écran, le désordre et le chaos sur plusieurs milliers de kilomètres, les immeubles fracturés, les chaussées éventrées, les ponts effondrés, les voitures retournées, Santiago gravement endommagée, son aéroport fermé, l'île de Pâques évacuée, les hôpitaux surchargés, la rentrée des classes retardée et des centaines de vies broyées en quelques instants. La puissance des forces en action dépasse l'entendement. La désolation se lit sur tous les visages. Les appels à l'aide et les promesses de secours se multiplient.

PS: les quelques jours précédents le séisme, nous avons rencontré Philippe de Castres, dit "Félipe", qui a été notre compagnon de route dans la région de Barréal. Il devait rentrer à Toulouse samedi.
Félipe, où es-tu? As tu pu rentrer en France comme prévu? As tu pu quitter l'Argentine? Quel trajet as tu fait depuis San Juan? Tu devais prendre un vol Mendoza-Santiago, enchaîner sur un autre vol Santiago-Sao Paulo, ensuite Sao Paulo-Londres et enfin Londres-Toulouse. Nous sommes curieux de savoir comment tu as fait pour rentrer chez toi!

Mendoza




Nous avons passé une semaine à Mendoza, la capitale viticole de l'Argentine. Une chaleur terrible recouvre la ville. Le thermomètre s'affole l'après midi. Pour étancher notre soif, et en bons soulards que nous sommes, une visite de cave est indispensable, voire vitale.

Avant d'arriver à Mendoza, nous fantasmions sur les noms de bodegas, nous salivions à l'idée de parcourir la fameuse route des vins et nous rêvions d'ivresse teintée sous les treilles ombragées recouvertes de vignes ou sous les voûtes colorées et rafraîchissantes des caves de Mendoza, nous laissant emporter de dégustation en dégustation, de verre en verre, dans un flot de liqueurs claires et de nectars rubis en découvrant des saveurs exotiques afin d'atteindre l'extase éthylique. S'il reste encore quelques irréductibles petits producteurs qui défendent les valeurs ancestrales, force est de constater que l'époque a changé et que l'image romantique du vigneron attaché à sa terre, les paluches abîmées par le labeur a cedé sa place aux holdings transnationaux qui suivent le cours des valeurs en bourse. Circulez, y'a plus rien à voir. Oubliez les revendications bourrues des orfèvres de la barrique en chêne préoccupés par la sauvegarde des terroirs, par la lutte pour les AOC et par la préservation d'un savoir-faire méticuleux. Ici, l'exploitation viticole est industrielle et le vin est une marchandise qui se vend bien.
En entrant dans la propriété Weinert, dont la jolie facade en brique (qui nous invitait à une dégustation, mais qui maquillait peut être habilement une triste réalité), nous restons circonspects face à ce nom. Un ancien Nazi repenti et réfugié en Amérique Latine se serait-il reconverti dans le négoce du pinard? Non, en fait le propriétaire est Brésilien et gère l'entreprise depuis Buenos Aires. Nous découvrons ensuite les cuves en béton et en inox gigantesques tandis que nos yeux cherchent des tonneaux en bois. Nous pensions avoir atteint le fond lorsque la guide (une jeune Brésilienne ayant visiblement trouvé un stage d'été grâce au piston) nous avoue largement préférer la caïpirinha au vin. Merci pour la guide passionnée!

Non, la vraie découverte a Mendoza a été celle d'une famille hors norme qui nous a accueilli pendant cinq jours. Victor et Graziela, un couple boliviano-argentin, sont des amis de Pierre Cailliez (le père de Solange), qu'il a rencontrés en 1973 à Potosi en Bolivie. Leur maison est un vrai centre social: chez eux loge Martin, le petit ami de leur fille Anahi, qui en plus de son handicap, est devenu orphelin en 2003. Pire, son frère peu scrupuleux cherche à le faire interner chez les fous pour toucher une pension d'invalidité.
Il y a également Miguel, un ancien élève de Graziela, qui, après avoir été jeté à la poubelle à la naissance à cause de son teint basané, a longtemps vécu dans une atmosphère familiale de violence, de vol et de prostitution. Aujourd'hui, à 20 ans, sans travail, sans diplôme, mais avec deux enfants en bas âge, il lutte pour échapper au destin tracé par sa famille.

Cependant, la demeure des Pérez reste étonnamment imprégnée d'optimisme. Graziela et Victor ont pléthore d'histoires à nous raconter: leurs idéaux communistes les ont conduit en prison pendant 18 jours en Bolivie, et leur foi catholique leur a permis d'en sortir grâce à l'intervention de l'évêque. Durant la dictature, ils hébergent un guerrillo en cavale, dont ils n'auront jamais de nouvelles. Plus tard, une femme a essayé de séduire Victor pour prendre la place de Graziela qui s'occupait de sa fille...
Catholiques et marxistes, leur foi en Dieu et au grand soir s'accomodent à la sauce latine. Chez eux, toutes ces croyances convergent. Loin de faire le grand écart entre des postures paradoxales, ils synthétisent une lecture de la religion et de la politique en un discours altruiste. Leur attitude généreuse et impliquée bouleverse les clivages intellectuels occidentaux et incarne un autre visage de l'idéal communiste, alors qu'en France, on regarderait avec de gros yeux le catho qui débarquerait en AG du NPA pour soutenir un discours de gauche radicale.
Graziela et Victor pataugent au quotidien dans les problèmes des autres, mais ils parviennent du mieux qu'ils peuvent à surmonter toutes les épreuves, à partager et à aider tous ceux qu'ils rencontrent.